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"L'une des grandes qualités de Martine Clouet est très certainement son regard poétique sur la vie et sur ce qu'elle veut voir. Ses compositions ont en elles cette capacité de nous inonder de lumière et de bonheur. En effet son travail recèle de nombreuses inventions sans pour autant négliger la rigueur et la technique. Mais lorsque l'on regarde les oeuvres de Clouet, on oublie cette technique pour ne voir que la manifestation d'un imaginaire haut en couleurs et en anecdotes. Pour Clouet, la vie est simple comme un poème."         

                                                Patrice de la PERRIERE  - Univers des arts

 

 

 

VIE QUOTIDIENNE AU VILLAGE ou MARTINE CLOUET, peintre.

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Sa passion pour la vie des gens simples remonte-t-elle à son enfance où elle aurait coulé des vacances heureuses dans quelque petit village ? Ou bien Martine Clouet a-t-elle, à l'âge adulte, fait des comparaisons entre le bouillonnement citadin et la calme sérénité villageoise ? Toujours est-il qu'elle a, sans équivoque, opté pour cette dernière. Qu 'elle en a adopté le rythme ; la " racontant " au fil des saisons avec une verve picturale très personnelle ; s'attardant avec la plus grande attention sur ses petits problèmes quotidiens ; choisissant de les exprimer dans une facture naïve qui sied à merveille à cette éthique passéiste, voire nostalgique de valeurs trop souvent disparues…

Naïve et autodidacte. De ce fait, elle ne se préoccupe pas de perspective. Et le spectateur a devant lui, de façon récurrente, une unique rue traversant horizontalement le tableau ; une unique rivière, toutes les maisons se serrant les unes contre les autres sur une unique berge ; un port avec un unique bras de mer, etc. Car la scène se situe chaque fois " dans " le village et non pas, comme chez beaucoup d'artistes de cette mouvance, dans la campagne dont il ne serait qu'un élément. Martine Clouet parfait ensuite avec une infinie patience et une précision d'ethnographe, l'intimité de ses lieux (petites maisons trapues aux fenêtres fleuries, églises à dimension humaine, vitrines à l'ancienne…) ; de façon à ce qu'ils suggèrent d'emblée un mode de vie sans sophistication, où les gens se connaissent et se parlent ; où les volets ne sont jamais clos ; tandis qu'au long de la rue commerçante, se succèdent les magasins aux noms goûteux comme des fruits mûrs, " Jardin secret ", " Entre Chiens et Chats ", " L'atelier du phare "… Tous les éléments de ces décors villageois sont en harmonie, comme interdépendants : une échappée sur la baie et sa minuscule plage de sable chaud servent de toile de fond à la fête patronale ; l'Hôtel de Ville prête sa majesté et sa rigueur architecturale à un mariage ; la rivière est gelée pour le plus grand plaisir des enfants ; les plates-bandes du jardin public entrelacent leurs allées sablées sur lesquelles il fait bon flâner…

Et, à l'avant-plan de cet entourage familier, tout près, presque à la toucher, la vie ! La vie qui éclate dans toutes les œuvres de Martine Clouet ; bien calée dans un décor à sa mesure ; bon-enfant, cordiale, chaleureuse, conviviale ; depuis le mariage en grande pompe immortalisé-devant-l'Hôtel-de-ville-solennel, par les caméras des invités ; jusqu'au Pardon breton, où, derrière la bannière, les fidèles en costumes régionaux avancent en direction du calvaire, sur-fond-de-baie-et-de-plage; depuis les enfants qui s'ébattent-sur-la-rivière-gelée ; jusqu'au jeune garçon avançant à skate-board-devant-les-vitrines-des-magasins, etc.

Tout ce petit monde s'active posément, se hâte lentement, vend ses fleurs, se bécote sur un banc, bavarde ou se promène… car l'artiste sait à merveille, grâce à la fluidité des silhouettes de ses personnages, les faire se parler à l'oreille ; incliner le chapeau rond d'un Breton vers la coiffe tuyautée d'une jeune fille ; jeter les quatre fers en l'air le maladroit qui n'a pas su garder l'équilibre sur la glace, faire ramper à quatre pattes dans l'herbe drue de la pelouse le bébé qui ne voit pas pourquoi il se fatiguerait à marcher… Au point que le visiteur réagit subjectivement à chacune de ces postures, complétant mentalement le geste, l'accompagnant d'une onomatopée, compatissant, s'amusant en somme avec la créatrice, se faisant son complice dans son monde si particulier…

Pour rendre cette impression de vie, Martine Clouet a, bien sûr, réduit les personnages à leurs lignes essentielles, simplifiant les visages, donnant par contraste une surprenante opulence aux chevelures dont les couleurs prolongent, dévient, cassent… le mouvement des corps. Car il faut bien aussi parler des couleurs. Celles du ciel, bleu profond des longues journées d'été ; gris pommelé par les jours froids d'hiver. Celles, chaleureuses, des vitrines. Celles enfin des vêtements monochromes ou tout au plus bicolores, vives sans être jamais criardes, jouant les unes des autres de façon à former de petites taches qui d'emblée conquièrent l'œil.

Et finalement, si attentif et tendre est le pinceau de l'artiste que chaque scène semble se dérouler dans une sorte d'écrin douillet bordé ici par les arbres défeuillés dont les branches lourdes de givre encadrent l'alignement des maisons ; là par des feuillages épais ceignant la mairie de leur vert brillant ; ailleurs par les géraniums familiers qui se penchent au-dessus des têtes des passants, etc. Et de tout ce bien-être implicite, de cette évidente philosophie confirmant qu'il fait bon prendre son temps, se dégage une sorte de poésie du bonheur…

Laquelle, parfois, glisse vers une fantasmagorie comparable à celle du Magicien d'Oz, doucement onirique ; clin d'œil léger comme celui que fait la lune lorsqu'elle voit grimper vers elle Le petit ramoneur… Rejoindre la lune ! N'est-ce pas là, vieux comme le monde, le désir secret de tout humain, a fortiori de tout créateur ? Alors, avec Martine Clouet, foin des styles, des modes, des géographies et des temps, il fait bon entrer dans son monde, et rêver !

Jeanine Rivais.

Ce texte a été publié dans le N° 72 de Février 2003 du BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.