Il était une fois.... C'est un peu de cette façon que je pourrai raconter de quelle manière j'en suis arrivée à devenir artiste peintre. En effet ce n'était pas gagné ! J'ai toujours su que je ne savais ni dessiner ni peindre. Tout au moins, c'est ce que je pensais ! En effet lorsque j'étais collégienne, un professeur d'Art Plastique (c'est ainsi qu'on les appelait à l'époque) m'avait interpellé devant toute une classe hilare : " Clouet, vous êtes nulle, nous ne ferons jamais rien de vous" ! Effectivement l'aquarelle qu'elle tenait à bout de bras était une vraie catastrophe. Mais je n'en étais pas perturbée pour autant, nous étions en 1968, la révolte sourdait partout et je n'avais qu'une idée : trouver très vite le moyen de suivre une formation qui me permettrait de trouver un emploi très vite et de fuir cette "chienlit" comme le disait le Président de la République de l'époque !
Alors j'ai enfoui ce souvenir qui ne referra surface que plus de 30 ans plus tard.
Et puis, j'ai suivi une formation comptable, j'ai trouvé un emploi dans une banque privée dans laquelle j'ai fait toute ma carrière et j'ai complètement oublié cet épisode.
Or un jour, mon époux qui travaillait dans la même banque, a reçu de la part d'un de ses clients une lithographie tirée d'un de ses tableaux. En voyant ce tableau le soir, j'ai ressenti une violente émotion et dans la foulée j'ai écrit un mot de remerciement et de félicitations à cet artiste. Quelques mois plus tard, à l'issue d'un entretien professionnel, Jean Espéjo dit "AXATARD" (puisqu'il s'agit de cet artiste peintre naïf) dit à mon époux :
- J.E. : Je ne savais pas que votre épouse était peintre! "
- Stupeur de mon époux qui lui répond : " pas du tout, elle est comptable et elle ne sait même pas dessiner !"
- J.E. : c'est étonnant... quelqu'un qui parle des couleurs d'un tableau comme elle en parle, elle n'est peut-être pas dessinatrice, mais elle est au moins coloriste. A votre place, je lui mettrai entre les mains le materiel nécéssaire et j'attendrai de voir ce que cela donne..."
La proposition était étonnante, mais c'est ce que Claude a fait et, au pied du sapin cette année-là, j'ai découvert avec étonnement une multitude de petits paquets à mon nom ! Le premier paquet que j'ai ouvert était un petit flacon d'huile de lin ???...je venais de traiter mon carrelage en grès avec de l'huile de lin et je savais bien qu'il ne s'agissait pas du même produit. Le deuxième paquet était un tube de peinture à l'huile, au troisième, des pinceaux en poil de martre je me suis demandé si mon époux n'était pas tombé sur la tête. Voyant mon interrogation il m'a dit d'ouvrir une enveloppe dans laquelle j'ai trouvé une lettre de Jean Espejo qui disait ceci :
- " On me dit que vous ne savez ni dessiner ni peindre. Sachez madame qu'on ne sait pas faire quelque chose le jour où on a réellement essayé de le faire. Avez-vous essayer de peindre ? "
La question était surprenante, mais c'est vrai, je n'avais jamais essayé puisque je ne savais pas! Oui mais si je n'ai pas essayé, je ne peux pas savoir...
Alors j'ai laissé passer un peu de temps, intimidée par tout ce matériel et ne connaissant rien à rien. Jean Espéjo m'avait écrit un petit mot sur lequel il m'expliquait le B.A. B.A. de la technique de la peinture à l'huile.
Un dimanche matin de janvier 1992, nos enfants étant partis en forêt avec leur père, je me suis dit que j'avais deux bonnes heures devant moi sans personne pour voir les dégâts. Et, comme une enfant, j'ai dessiné un jardin imaginaire et j'y ai ajouté de la couleur. Le support papier n'était pas adapté, mais j'ai encore ce premier essai et au retour de ma petite troupe j'ai eu la surprise de les entendre me complimenter.
"Clouet vous êtes nulle et nous ne ferons jamais rien de vous" continue son travail de sape. Votre famille, vos amis, sont gentils ; ils vous complimentent car ils ne veulent pas vous faire de peine etc... C'est très difficile de croire les compliments lorsque, au fond de soi, la petite musique du
Il m'a fallu entendre de la bouche de Jean Espéjo que j'étais un authentique peintre naïf et qu'il n'avait qu'une chose à me dire : " continuez car ce que vous faites plait et se vend" pour que je commence à me sentir légitime.
Loin de moi à l'époque, l'idée de vendre, mais si ce que je peins peut plaire à quelqu'un, alors d'accord je vais continuer et travailler !
Je suis donc allée voir un professeur d'Art Plastique à l'Atelier d'Art de Conflans Sainte Honorine pour lui demander si ce que je faisais valait le coup de continuer et si prendre des cours au sein de son atelier pourrait m'aider car j'étais totalement ignorante. Non seulement Georges Obrégon m'a dit que cela valait le coup, mais il m'a lui aussi dit que j'étais un peintre naïf et qu'il se contenterait de m'enseigner les différentes techniques afin que je trouve celle qui me conviendrait le mieux. C'est un excellent pédagogue, il n'a jamais corrigé quoi que ce soit dans mes tableaux, il m'a toujours guidé et j'ai passé, pendant trois années, des vendredis soir merveilleux à l'Atelier d'Art. Qu'il en soit encore remercié ! J'ai appris le pastel, la sanguine, la peinture à l'huile, au couteau etc... L'aquarelle ?... non définitivement ce n'est pas pour moi ! Mais ce qui me plaisait vraiment, c'était la peinture à l'huile avec des pinceaux très fins pour les détails.
Alors, chaque vendredi soir était la récompense de la semaine. J'ai beaucoup appris et beaucoup progressé. Cela a été l'occasion de rencontres et très vite j'ai participé au salon d'Art de ma commune de l'époque : le salon de l'amicale des Beaux-Arts d'Andrésy. La première année, je n'avais pas assez de tableaux à exposer aussi j'ai demandé à mon époux de me prêter le tableau que je lui avais fait pour son bureau.
Le soir du vernissage, on est venu me chercher pour me dire que j'avais oublié d'indiquer un prix sur ma liste de tableaux. Ce n'était pas un oubli, ce tableau n'était pas à vendre!
- " Ce n'est pas possible dit à cet instant un monsieur, ce tableau plait à mon épouse et je veux lui offrir".
- Claude très gentiment me dit "ce n'est pas grave, tu m'en feras un autre pour mon bureau".
- Alors très vite j'indique un prix qui me semble excessif en me disant que le monsieur en question allait lâcher l'affaire et que tout serait réglé!
- Mais ce n'est pas ce qui s'est passé : le client a sorti son chéquier ravi de pouvoir faire cette acquisition. Claude, qui était fumeur à l'époque, a dû sortir pour reprendre ses esprits en fumant une cigarette. Moi j'examinais le client en me disant qu'il avait l'air tout à fait sain d'esprit. Voyant mon attitude il m'a dit :
- " vous avez l'air surprise"
- "Oui, c'est la première fois que je participe à une exposition et je viens seulement de commencer à peindre !"
- "Je suis collectionneur d'Art Naïf et je peux vous garantir que ce n'est pas la dernière toile que vous vendrez !"
C'est ainsi que l'aventure a commencé. J'ai tout d'abord participé à de nombreux salons en région parisienne puis aux Salons pour lesquels la sélection était faite par un jury. (Salon du val de Viosne à Osny, Salon de Chatou, Salon de Versailles, Salon de la SNBA à Paris etc...) Par la suite en 1996, j'ai fait la connaissance de Marie-Jo Radenac présidente de l'association Groupe International des Primitifs Modernes dits Naïfs qu'elle avait créé en 1989 avec Jean-Pierre Lagarde et Jeanne Marie Vidal. J'ai alors fait la connaissance avec de nombreux artistes Naïfs et sur les conseils de Jean Maerten, j'ai présenté un dossier au Salon des Artistes Français à Paris.
Non seulement j'ai eu la surprise d'être sélectionnée mais, cette année-là, en 1999, j'ai obtenu la médaille de Bronze des Artistes Français au cours du salon qui s'est déroulé à l'espace Eiffel Branly (devenu depuis le Musée des Arts Premiers). C'est à partir de cette date que, profitant de l'opportunité d'un plan social avec appel au volontariat, j'ai quitté mon emploi pour me consacrer totalement à la peinture.
Les rencontres de plus en plus nombreuses dans ce milieu de l'Art Naïf m'ont permis de devenir amie avec celui que j'appelle amicalement le "Boss" : Bernard Vercruyce (chef de file des Naïfs au Salon Comparaisons qui se tient chaque année au Grand Palais à Paris), avec Claudine Loquen (responsable de la section Naïfs au salon d'Automne de Paris auquel je participe depuis plusieurs années) et avec bien d'autres artistes nombreux et talentueux.
Depuis 2001, Marie-Jo ayant démissionné de son poste de Présidente, je suis devenue présidente de l'association qu'elle avait créé et pendant 20 ans j'ai organisé, avec l'aide de mon époux et de fidèles amis, une Biennale Internationale d'Art Naïf à Andrésy (Yvelines) dont la dernière a eu lieu en 2018. C'est d'ailleurs à l'occasion de la première Biennale International d'Art Naïf du Groupe International des Primitifs Modernes dits Naïfs que nous avions organisé en 2000 que j'ai retrouvé une amie d'enfance qui m'a raconté l'histoire de ce prof d'Art Plastique que j'avais totalement occulté pendant plus de 30 ans!
En 2001 au cours d'un salon que nous avions organisé à Conflans Sainte Honorine, j'ai fait la rencontre de la responsable de l'office de Tourisme d'Auvers sur Oise qui m'a proposé une exposition personnelle à l'office de Tourisme. Ayant 100 ans et 1 jours avec Vincent Van Gogh que j'admire depuis mon enfance, j'ai accepté de faire cette exposition en mars 2003. J'ai ainsi fêté mes 50 ans et commémoré les 150 ans de la naissance de mon idole.
A cette occasion, le conservateur du Musée Daubigny d'Auvers sur Oise a visité mon exposition et le Musée Daubigny a intégré une de mes toiles dans sa collection "Naïfs".
Cette histoire n'est pas un conte de fées, c'est l'histoire de ma deuxième vie qui m'a permis de faire de très belles rencontres et d'exposer dans de nombreux pays ( Allemagne, Belgique, Espagne, Estonie, Finlande, Israel, Italie, Japon, suéde et USA)